IX
LE REPLI

Trois jours s’étaient écoulés depuis qu’ils avaient appareillé de Sainte-Croix. L’aube se levait, brillante et claire dans le bleu de glace d’un ciel vide de nuages. A perte de vue, de petites crêtes, qui paraissaient jaunes à la lumière du soleil parcouraient la mer fouettée par un violent vent de nord-est. Durant la nuit, en dépit des signaux d’urgence de Pelham-Martin, les quatre navires s’étaient séparés. Il leur fallut de nombreuses heures de dur labeur pour reformer la ligne de file d’une manière qu’il jugeât satisfaisante. Maintenant, lofant sur bâbord et comptant sur les vents durcissants, les navires faisaient route au sud-est, alors que les côtes ombragées s’étendaient au loin de chaque côté ; à l’intérieur des terres, seuls les sommets les plus élevés baignaient dans la lumière du soleil. La baie de Las Mercedes restait invisible, nimbée qu’elle était d’une brume flottante tourbillonnant à la surface de l’eau.

Bolitho se tenait sur la dunette, une main posée sur la rambarde. En dépit de la chaleur matinale, il était transi et ses yeux étaient douloureux d’avoir trop observé la terre qui émergeait des nuages et prenait forme en ce jour nouveau. Depuis qu’il avait appareillé et poussé au large en toute hâte, son esprit, obsédé par ce moment, n’avait cessé de retourner la même question, pendant que les navires faisaient route vers l’ouest et que, sous le couvert de la nuit, ils viraient vers les terres : comment Pelham-Martin s’y prendrait-il si les Français avaient déjà quitté la baie et se trouvaient hors d’atteinte, comme à l’accoutumée ? Ou, pis encore, si la goélette de De Block avait été mal informée et que Lequiller n’avait jamais été dans ces parages ?

Dans un cas comme dans l’autre, il serait difficile de retrouver leur trace. Amener deux flottes à se rencontrer pour se combattre relevait plus de la devinette que de la stratégie et Lequiller pouvait avoir décidé de retourner en France ou de mener à bonne fin, à l’autre bout de la planète, un plan qui lui était propre.

Il sentait la coque de l’Hyperion trembler et craquer tandis que, ayant pris des ris, le navire suivait les autres en direction du banc de brume pâle. Dès qu’il y avait eu suffisamment de lumière pour lire ses signaux, Pelham-Martin leur avait donné l’ordre de se préparer au combat. Maintenant, sur l’Hyperion, comme sur les autres vaisseaux, la plupart attendaient, dans un silence presque total, près des canons ou sur le pont. D’eux dépendait la survie de leurs camarades, comme Trudgeon, le médecin, réfugiés dans les entrailles obscures de la coque.

Semblant obéir à un ordre silencieux, plusieurs longues-vues se levèrent et Bolitho vit un pâle rectangle de voile se détacher de la brume au loin sur bâbord avant. C’était la frégate Abdiel : Pelham-Martin lui avait ordonné de s’approcher de la baie par le côté opposé et de signaler tout mouvement qui pouvait se produire à l’abri des promontoires.

Debout près des canons du gaillard arrière, le lieutenant Roth lança d’une voix forte :

— Nous serons bientôt fixés, hein !

Mais, le regard noir de Bolitho le fit se tenir coi.

L’enseigne Gascoigne était déjà dans les haubans au vent, armé de sa longue-vue. Intensément concentré, il se mordait la lèvre inférieure, conscient, à n’en pas douter, de l’importance vitale de ce premier signal.

Un bruit métallique se fit entendre. Bolitho tourna la tête et vit Allday arpenter le pont sous la poupe, portant sa vieille épée devant lui comme un talisman. En dépit de son anxiété, il parvint à sourire tandis qu’Allday bouclait son ceinturon. Lui, en tout cas, semblait n’avoir aucun doute sur ce qui les attendait ce jour-là.

— L’Abdiel envoie un signal, commandant !

La voix de Gascoigne trahissait son excitation.

— A l’Indomitable : « Quatre bâtiments ennemis ancrés dans la baie. »

Ses lèvres remuaient tandis qu’il déchiffrait les signaux, puis il cria :

— Quatre navires de ligne, commandant !

Inch laissa échapper un grand soupir :

— Mon Dieu, nous les avons trouvés !

Bolitho serra les lèvres et se força à traverser le pont deux fois d’un bord à l’autre. Quatre navires, ce n’était que la moitié de la flotte de Lequiller. Où était le reste ?

— Cette brume va bientôt se dissiper, murmura Gossett. Peut-être qu’alors nous verrons ces salopards !

Comme d’habitude, il avait raison ; quand la brume commença à se lever, Bolitho pointa sa longue-vue : il vit un à un les bateaux prendre forme. Avec le soleil juste au-dessus des collines, les quatre bâtiments semblaient noirs et massifs, immuables, tels des rocs ancrés pour l’éternité. Tandis que la lumière filtrait à travers la brume, il comprit pourquoi. Ils étaient tous ancrés par la proue et la poupe, directement en travers du goulet d’entrée de la baie, et il devinait à la manière dont l’eau se soulevait entre les coques les plus proches que d’autres filins les arrimaient entre eux : ils constituaient ainsi une formidable barrière. Chaque vaisseau avait fermé ses sabords et ferlé soigneusement ses voiles mais, quand la lumière se fit plus intense sur les vergues et les haubans, il aperçut de minuscules silhouettes sur chaque poupe et le pavillon tricolore ondulant à chaque hampe. Il n’y avait plus aucun doute. Que les Français eussent réduit les Espagnols à la soumission ou simplement à un silence impuissant, le résultat était le même. Ils étaient prêts à combattre et, ce qui était plus important encore, ils devaient savoir que la flotte de Pelham-Martin était en chemin. Ancrer ainsi ces énormes deux-ponts leur avait sans doute demandé quantité d’efforts et de manœuvres. Le commandant français n’aurait gaspillé ni les uns ni les autres sans raison valable.

— C’est à croire qu’ils désiraient notre venue, commandant, commenta Inch.

Bolitho replia sa longue-vue.

— Tout à fait. Je me demandais comment ce navire des Nouvelles-Indes avait fait pour continuer sa route, après avoir vu ce qu’il avait vu. Lequiller n’est pas idiot, monsieur Inch, et j’espère que le commodore en est conscient.

Inch hocha la tête d’un air dubitatif :

— Je me demande quels sont ses plans, commandant.

Pendant une longue minute, Bolitho étudia les navires au mouillage. Sans les entendre, il devinait le bourdonnement des haubans et du gréement, le sifflement de l’eau contre les coques. Une telle disposition de vaisseaux n’augurait rien de bon, pensa-t-il. Ils étaient presque à angle droit avec la ligne d’approche de la flottille, sur son bâbord, le vaisseau le plus éloigné toujours enveloppé dans la brume au pied du lointain promontoire. Si Pelham-Martin conservait son cap, ils passeraient sur l’arrière du dernier navire. Ils pouvaient également tirer un bord, longer la ligne des bateaux au mouillage et leur régler leur compte un par un.

— Il y a largement assez d’eau de ce côté de l’entrée, commandant, fit Gossett.

— En effet.

Bolitho avait déjà remarqué que les bâtiments au mouillage étaient plus près du promontoire opposé. Le deux-ponts le plus proche mouillait quant à lui à environ trois encablures des falaises surplombant la mer et était déjà baigné par la lueur du soleil.

— L’Indomitable envoie des signaux à l’Abdiel, commandant ! hurla Gascoigne.

Il gravit frénétiquement trois enfléchures de plus.

— Je n’arrive pas à voir le guindant, commandant ! L’Hermes me cache la vue !

— L’Abdiel a envoyé l’aperçu, commandant ; nous devrions être rapidement fixés, rétorqua Inch.

Bolitho le regarda d’un air grave. C’était étrange de voir la façon dont les hommes pouvaient discuter de tactique et de signaux, alors qu’à la nuit tombée, ils risquaient d’être tous morts.

L’Abdiel qui bordait et choquait à nouveau vira de bord et se dirigea vers la queue de la ligne française. Ses voiles claquaient au vent et ondoyaient le long des vergues. Quelques marins sous la dunette commencèrent à l’acclamer ; mais c’était plus pour relâcher leur tension que dans l’espoir d’être entendus par la frêle frégate.

Bolitho observait en silence : ainsi Pelham-Martin envoyait l’Abdiel au combat en premier. Porté faiblement par le vent, le son d’une trompette parvint à ses oreilles. Et alors qu’il s’abritait les yeux de la lumière éblouissante du soleil levant, il vit les bâtiments français ouvrir leurs sabords. Ce mouvement était à la fois lent et bien minuté : on eût dit que la double ligne de bouches à feu qui apparaissait était réglée par la main d’un seul homme. Un nuage de fumée flotta au-dessus des épaules de l’Abdiel, suivi quelques secondes plus tard par le fracas discordant du coup de canon. Il était difficile de juger si c’était un tir d’ajustement, ou un coup pour marquer la joie.

Peut-être le commandant de l’Abdiel avait-il seulement en vue de faire baisser la tension en tirant ce coup de canon. Il était dommage qu’une fois de plus, ce fût au commandant Pring et non à Farquhar de s’approcher de l’ennemi. Les sloops partis à la recherche du Spartan ne l’avaient pas encore trouvé ; en tout cas, il n’était pas encore arrivé. Farquhar avait peut-être des difficultés de son côté, mais en ce moment précis Bolitho aurait préféré le voir, lui plutôt que Pring, à l’avant-garde. Ce dernier avait toute la compétence requise, mais il semblait manquer de la froide maîtrise que possédait Farquhar.

La fumée s’épaissit ; toute une bordée fut tirée cette fois : les boulets vomissaient de fines gerbes d’eau par le travers du dernier bâtiment français, que Bolitho put alors reconnaître comme celui qu’il avait endommagé à Sainte-Croix. Sans lunette, il distinguait nettement les trous béants dans son pavois et le grossier gréement de fortune qui remplaçait son artimon rompu.

— Message général, commandant ! hurla Gascoigne. Le commodore a l’intention de passer sur l’arrière de la ligne ennemie pour obtenir l’avantage du vent !

— Veuillez charger et élonger en batterie, monsieur Inch.

Pendant qu’on passait l’ordre, Bolitho s’éloigna du gaillard d’arrière, où l’on s’activait subitement autour des canons, pour gagner l’échelle de dunette. En se tenant quelques coudées au-dessus du pont, il pouvait voir le gréement léger de l’Indomitable passer sur l’avant du bâtiment français de queue. Encore deux encablures et Pelham-Martin croiserait son arrière et conduirait alors la ligne autour des bâtiments au mouillage puis parallèlement à ceux-ci. Non seulement les canonniers français auraient le soleil dans les yeux, mais ils seraient de plus aveuglés par la fumée, une fois le tir commencé.

Les huniers claquèrent violemment au vent et se gonflèrent. Si près de la côte, il était difficile de les garder bien bordés, et Bolitho observa avec satisfaction les hommes de Tomlin, tandis qu’ils armaient les bras de vergues, se tenant prêts pour l’ordre suivant.

Inch salua.

— Canons bâbord chargés et en batterie, commandant !

Malgré les détonations lointaines de la batterie de l’Abdiel, il semblait serein et vaguement allègre.

— Ils ont lancé l’opération quelques minutes avant l’heure.

Bolitho vit l’Hermes agité par le courant du large, et il remarqua qu’il avait également disposé ses canons en batterie pour l’engagement.

— Canons tribord, maintenant, monsieur Inch, dit-il lentement.

Il agrippa la rambarde en teck. Dans l’entrelacs du gréement, il vit la silhouette de l’Abdiel diminuer jusqu’à ce qu’on ne distinguât plus que sa poupe, les vergues brassées pour saisir le vent, son pavillon écarlate flottant à la corne comme un morceau de métal peint.

Inch connaissait assez bien Bolitho pour ne pas discuter ses ordres, et alors que ses hommes hésitaient, relâchant leur vigilance, il mit ses mains en porte-voix et cria :

— Saisissez et élongez, bande de fainéants ! Adjudant, prenez le nom de cet homme !

Cela eut l’effet escompté. Et dans le couinement des roues, les canons avancèrent lourdement vers les sabords, les matelots dérapant sur le pont moite alors que le lourd fût prenait charge et roulait sur la pente inclinée. En dessous, sur le pont inférieur, il se pouvait que, le bateau penchant docilement au vent, les sabords fussent à fleur d’eau, mais Bolitho respirait. Tout allait bien, peut-être même trop bien.

Il regarda Inch et haussa les épaules.

— Il est toujours plus prudent d’être préparé.

Quelqu’un à bord de l’Hermes avait apparemment trouvé le temps de détourner son regard des bâtiments ennemis, puisque quelques secondes plus tard ses tapes de sabords tribord s’ouvrirent et que çà et là une bouche de canon montra sa tête, telle une bête se réveillant brusquement et humant l’air.

Inch sourit jusqu’aux oreilles.

— Ils sont faits, commandant.

L’un des canons de chasse de l’Indomitable tira ; les langues de feu étaient masquées par les bâtiments sur son arrière, et Bolitho pivota pour voir le boulet ricocher avant de fendre l’eau près du bâtiment français de queue. Des cris de joie retentirent, et l’on entendit des bruits de tambours et de fifres, venant de l’un des bateaux – Bolitho pensa qu’il s’agissait du Telamon.

— L’Abdiel essuie un tir !

Le cri de l’homme de veille en tête de mât était noyé par le fracas haché des coups de canon. Et alors que Bolitho courait vers la rambarde, saisissant au passage la lunette d’un aspirant effrayé, il vit la coque de la frégate entourée de gerbes d’eau jaillissantes.

Inch cria :

— Les Français doivent avoir sorti leurs pièces de chasse ! cria Inch.

Mais Bolitho l’entraîna loin du bastingage.

— Regardez donc ! Ces boulets proviennent de terre, par notre tribord !

Il grimaça lorsqu’il vit le mât de misaine de l’Abdiel s’effondrer sur le pont, et à nouveau lorsqu’il vit les voiles trembler sous les impacts de nouveaux boulets. Eclats de bois et débris tourbillonnaient sur les flots alentour.

Bolitho grinça des dents. C’était une embuscade, ainsi qu’il l’avait en partie deviné, en partie redouté. L’Abdiel était engagé par plusieurs pièces à la fois, les pointeurs embusqués n’étant dérangés ni par le mouvement ni par la distance. Les canons tiraient sans répit vers le navire qui devait se trouver juste à leur portée.

— Pring est en train d’essayer de virer de bord !

Inch pleura presque de rage lorsque le mât d’artimon de l’Abdiel tomba et resta accroché par les étais avant de s’effondrer sur la dunette, dans un bruit tel qu’il couvrit jusqu’à la canonnade. Gascoigne cria sauvagement :

— Signal général : « Changer d’amures en succession ! »

L’Indomitable était déjà en train de virer très lentement vers bâbord, la bôme pointant vers la poupe du dernier navire français, roulant tant et plus en venant au vent. Un instant il sembla complètement déventé, mais, avec de plus en plus d’hommes peinant à la manœuvre, il chancela sur les courtes vagues, les perroquets claquant et se soulevant follement, donnant l’impression de vouloir s’arracher des vergues.

— Tenez-vous prêt, monsieur Gossett ! cria Bolitho.

Malade, il contempla les Français ancrés tirer une bordée ajustée, la ligne double des langues de feu émergeant des coques, alors que la salve labourait le flanc de l’Indomitable, dont les sabords demeuraient fermés et inutiles.

Bolitho leva la main, parcourant des yeux la rangée de canonniers, se bouchant les oreilles afin de mieux se concentrer sur les mouvements des navires qui le précédaient. Il n’était pas étonnant que l’ennemi, confiant, ait attendu si patiemment. Au lieu d’affronter une colonne de navires par leur arrière, ils avaient maintenant à faire face au chaos. L’Indomitable se balançait lourdement par le travers des vagues, les focs en lambeaux, les mâts de hune et de cacatois pendant au milieu des haubans dévastés. Il n’avait toujours pas débordé les autres canons, et Bolitho pouvait imaginer la boucherie qu’avait occasionnée cette première bordée. A présent le navire suivant ouvrait le feu, et la mer autour du vaisseau amiral de Pelham-Martin bouillonnait d’écume blanche et d’espars flottants.

Puis il y eut un cri :

— Mon Dieu, l’Abdiel est en feu !

Bolitho détourna les yeux de la poupe de l’Hermes, à temps pour voir la frégate s’ouvrir, les voiles et les haubans avant brûlant comme de l’étoupe, l’incendie se propageant de vergue en vergue, alors que des silhouettes dérisoires, telles des fruits mûrs, tombaient des haubans sur le pont ou dans la mer.

— Signal général ! hurla Gascoigne avec désespoir. Serrer sur le commodore !

— Interdiction de faire l’aperçu ! ordonna Bolitho.

Puis à l’adresse de Gossett :

— Maintenant ! La barre sous le vent !

Quelque chose comme un énorme grognement flotta par-dessus les eaux. Le Telamon avait dû entrer en collision avec la poupe de l’Indomitable, songea-t-il, mais avec une telle fumée, il était difficile de voir ce qui se passait.

A l’avant, ses hommes étaient déjà en train de déferler les focs, et quand la barre tourna, le mât de beaupré s’écarta, d’abord lentement puis plus rapidement, de la poupe de l’Hermes.

— Brassez partout !

Il était surprenant de voir que les hommes parvenaient encore à penser, ou du moins à agir, car ils se mirent en mouvement, plus par le réflexe que leur avait inculqué l’habitude prise à l’exercice que par intelligence de la situation.

Bolitho regarda en l’air, retenant son souffle : les vergues oscillaient, dans un grand désordre de voiles, pendant que la proue prenait le vent.

— Établissez et étarquez !

Inch s’époumonait dans son porte-voix.

— Étarquez !

— Faites établir les perroquets, monsieur Inch !

Une balle miaula par-dessus la dunette, mais c’est à peine si un homme leva la tête. C’était probablement un raté en provenance de l’Indomitable, mais tous les yeux étaient fixés sur l’Hermes. Avec toute cette toile supplémentaire et les ponts s’inclinant sur l’autre bord, l’Hyperion surgit sur son arrière, tandis que la fumée dérivant au-dessus des matelots leur arrachait les poumons.

L’Hermes ouvrit le feu à la suite des deux autres navires, lesquels se trouvaient inextricablement emmêlés, la bôme du hollandais fichée dans les haubans de l’Indomitable telle une lance. Et pendant que les hommes se précipitaient avec des haches pour couper le gréement et les filets enchevêtrés, les Français maintenaient un feu dévastateur à une cinquantaine de yards. Bolitho pouvait voir des hommes tomber de la mâture tandis que d’autres étaient déchiquetés comme des chiffons par la mitraille des autres vaisseaux ennemis.

Alors que l’Hyperion dépassait ses trois conserves, Bolitho crut voir Pelham-Martin sur le gaillard d’arrière ; son chapeau cousu d’or brillait dans la lumière du soleil. Il marchait en long et en large, les bras battant l’air, la voix perdue dans le mugissement des canons.

La fumée était dense et s’élevait jusqu’aux huniers. Bolitho essayait de compter les minutes tandis que son bateau se déplaçait lentement le long de la ligne ennemie dissimulée. Ses voiles étaient tellement brassées qu’on aurait juré qu’il s’agissait de voiles auriques.

Ce devait être le bon moment. Il le fallait. Il jeta un coup d’œil désespéré vers l’arrière et vit la silhouette déchirée de l’Indomitable noyée par la fumée et les flammes dansantes des canons. L’épaisse nuée cachait l’Hermes et le Dutch pris au piège. Le roulement du bombardement ennemi se poursuivit encore sans aucune pause ni hésitation. Il hurla :

— Paré à virer !

Il vit Inch s’agripper au bastingage, tentant de distinguer les hommes à travers la fumée.

— Paré !

Bolitho courut sur tribord. S’il avait mal estimé la distance ou si le vent le trahissait, il se trouverait sans doute face à face avec le plus proche navire ennemi et serait aussi désemparé que le Telamon.

— Virez maintenant !

Tandis que le bateau commençait à revenir travers au vent, il mit ses mains en porte-voix et cria aux canonniers du pont principal :

— Batterie tribord, feu !

Ce fut comme un double roulement de tonnerre, les pièces de la batterie inférieure n’étant pas prêtes pour cet ordre. Il sentit le navire vaciller sous le recul des canons. Les flammes furent instantanément masquées par la fumée étouffante qui montait par les sabords et transformait le jour en épaisse nuit.

Il entendit le craquement des boulets qui atteignaient leur objectif. Il cria aux canonniers sur bâbord :

— Prêt, les gars !

Il souriait fiévreusement et sentait à peine le bateau qui virait sous lui, le gréement agité de secousses comme s’il allait s’arracher tout aussi bien des taquets que de la mâture.

Pendant que les canonniers tribord rechargeaient, l’Hyperion continua à virer. Soudain, comme par magie, Bolitho vit les mâts de hune et les voiles d’un navire ancré se balancer devant la proue, à cinquante brasses à peine sur l’avant.

Puis le vent écarta la fumée et il vit clairement le deux-ponts français l’éviter et partir. Certains de ses canons tiraient encore pendant que l’Hyperion s’éloignait de la zone enfumée. C’était le vaisseau de tête de l’escadre, et quand Bolitho se pencha par-dessus les filets, il remarqua avec une froide satisfaction que la poupe du bateau tout proche fumait par une douzaine de trous dans son pavois et sa passerelle. Sa bordée aveugle avait donc touché plusieurs fois le but.

— Feu dès que paré !

Sur bâbord, les canonniers étaient prêts et impatients ; à mesure que les chefs de pièce faisaient tirer leur bordée, un mur compact de fumée s’élevait au-dessus du passavant.

— Son grand mât tombe !

Des acclamations fusèrent le long du pont enveloppé de fumée, ponctuées de toussotements et d’insultes, tandis que la batterie inférieure faisait feu de nouveau.

Un matelot courut vers l’arrière, se retourna et s’écroula, mort, aux pieds de Stepkyne. Le lieutenant continua à marcher, ne s’arrêtant que pour enjamber le cadavre. Il surveillait la folie combative de ses canonniers.

Bolitho sentit quelqu’un qui agrippait sa manche et vit que c’était Gascoigne. Il devait l’avoir appelé, mais sa voix s’était perdue dans le vacarme.

— Commandant, un message de l’Indomitable !

Il eut le souffle coupé lorsqu’un boulet passa au-dessus de leurs têtes en sifflant et coupa un garde-fou en deux comme un fétu de paille.

— Eh bien, mon garçon ?

Bolitho sentit le pont frémir et sut que des coups ennemis avaient atteint leur cible.

— Le message dit : « Cessez le combat », commandant !

Inch vint à l’arrière, s’essuyant le visage.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? Cessez le combat ?

Il semblait médusé.

— Accusez réception !

Bolitho croisa son regard désespéré.

— Cela veut dire qu’il nous faut nous replier, monsieur Inch.

Il tourna les talons et se dirigea dans la direction opposée pour observer l’Hermes qui, la proue sous le vent, s’éloignait de la mêlée de la bataille, ses pièces de retraite faisant toujours feu et ses mâts intacts.

Les coups de canons cessèrent soudain et tous eurent l’impression d’être sourds. Et quand le vent écarta la fumée, Bolitho se rendit compte qu’ils s’étaient déjà bien éloignés des navires ancrés. Pendant que le Telamon, ballotté, tentait de suivre avec peine l’Indomitable mal en point, l’Hermes luttait déjà pour reprendre position derrière lui.

L’Indomitable était en piètre état. Il avait perdu tous ses mâts de hune ; son pont supérieur et son côté tribord étaient taraudés de la proue à la poupe.

Puis sur les flots se répandit une acclamation triomphante mêlée de cris railleurs et de huées. Elle semblait battre aux oreilles des marins et fusiliers de l’Hyperion comme une sorte de damnation finale.

— Signal général, commandant !

Gascoigne semblait anéanti.

— Faites cap au sud-ouest.

Et ce fut tout.

Bolitho gravit l’échelle de poupe et regarda par bâbord. Au-delà des navires français triomphants, il aperçut les restes embrasés de l’Abdiel et quelques survivants qui se débattaient dans l’eau. On eût dit des poissons à l’agonie dans un flot empoisonné. Puis, le cap s’approchant à point pour dissimuler leur malheur, il se mit à trembler de tous ses membres, comme en proie à la fièvre.

Allday le rejoignit.

— Etes-vous souffrant, commandant ?

Bolitho secoua la tête, presque effrayé de parler.

— Pas souffrant, seulement furieux !

Il fixa sans le voir le panorama sans fin des collines et des verts sous-bois luxuriants qui s’étendait au-dessus des vagues lointaines. Le repli ! Ces mots s’accrochaient dans son esprit comme un fil barbelé.

Inch monta bruyamment l’échelle et salua.

— Deux tués, commandant. Pas de blessé.

Bolitho fixa Inch, sans remarquer la souffrance sur son visage ; le lieutenant eut un mouvement de recul sous le regard froid de son commandant.

— Deux tués, hein ?

Il se retourna, les mots s’étranglèrent dans sa gorge. Ils avaient été doublés et mis en déroute mais pas battus. Ils n’avaient perdu qu’une manche. Il regarda vers l’avant les hommes qui réparaient les amarres de leurs canons. On les avait fait battre en retraite honteusement à cause de la stupidité aveugle de Pelham-Martin.

— Qu’allons-nous faire, commandant ? demanda calmement Inch.

Bolitho lui fit face brutalement.

— Ecrire un bon dieu de rapport, je suppose. Espérons qu’il satisfera l’équipage de l’Abdiel !

Dans un brusque mouvement, il déboucla son sabre et le tendit à Allday.

— La prochaine fois que nous apercevrons l’ennemi, vous feriez mieux de m’apporter un drapeau blanc !

Puis il fit demi-tour et se dirigea vers l’échelle. Inch se tourna vers Allday.

— Je ne l’ai jamais vu aussi furieux.

Le barreur retourna le sabre et en fit briller la garde patinée à la lumière du soleil.

— Je vous demande pardon, commandant, mais si vous voulez mon avis, il est grand temps que quelqu’un se fâche.

Puis, serrant le sabre contre sa poitrine, il suivit son capitaine.

 

Alors que le canot de l’Hyperion taillait droitement sa route à travers les vaguelettes agitées, Bolitho était assis, immobile, dans la chambre d’embarcation, ses yeux fixés sur l’Indomitable au mouillage. Quatre heures après l’échec total qu’avait été l’attaque de Pelham-Martin, les bâtiments avaient continué au sud-ouest, en suivant la ligne courbe de la côte, leur vitesse réduite à une lente et pénible avancée, alors que l’Indomitable estropié s’efforçait de conserver la tête.

Le commodore avait fait stopper l’escadre en un point où la côte s’incurvait à nouveau plus profondément à l’intérieur des terres, et où les fonds permettaient un mouillage temporaire. Maintenant les bâtiments formaient une longue ligne irrégulière, leur avant pointé vers la terre qui se trouvait à moins de deux milles.

Bolitho leva les yeux pour explorer l’étendue des dégâts de l’Indomitable : il sentait le regard des hommes du canot peser sur lui, comme s’ils cherchaient à lire leur sort sur son visage fermé.

Contre le bord délabré du deux-ponts, l’équipage du canot de l’Hyperion semblait propre et indemne ; ils mâtèrent les avirons et le matelot à l’avant crocheta les chaînes, obéissant à un ordre brusque.

— Restez à l’écart, dit Bolitho, et attendez mes consignes.

Allday avait compris le message : il y avait déjà bien assez d’amertume à bord de son bâtiment ; il était inutile de laisser l’équipage du canot s’entretenir avec les hommes de l’Indomitable et rapporter davantage de commérages qui les démoraliseraient encore plus.

Il fut reçu au sabord de coupée par un lieutenant ayant un bras en écharpe.

— Pouvez-vous vous diriger seul vers l’arrière, commandant ? s’enquit-il.

Il tourna la tête d’un coup sec vers les autres bâtiments.

— Le commandant Fitzmaurice et le commandant Mulder vont arriver à bord d’un moment à l’autre.

Bolitho opina sans dire mot. Comme il marchait à grands pas vers l’échelle du gaillard d’arrière, il sentit les effluves de bois brûlé, de peinture carbonisée, de poudre ; et l’âpre, l’écœurante odeur du sang lui donnait des haut-le-cœur.

Depuis leur départ de Las Mercedes, les bras de l’Indomitable s’étaient activés sans relâche, mais le spectacle qu’offrait le navire témoignait de la destruction à laquelle il avait échappé de justesse. Plusieurs canons avaient été soulevés et il y avait du sang partout, comme si un fou avait travaillé avec un seau et une brosse, tandis qu’au pied du mât de misaine des corps étaient entassés ainsi que viande à l’abattoir. Et l’on en transportait d’autres encore qui venaient grossir ces sinistres rangs.

Il s’avança sous la dunette et ouvrit brutalement la porte de la cabine. Pelham-Martin, les deux mains sur la table, était penché sur des cartes marines éparpillées, qu’observaient en silence un capitaine de fusiliers et un lieutenant de vaisseau qui ne devait pas avoir plus de dix-neuf ans.

Le capitaine de vaisseau releva la tête ; ses yeux brillèrent dans le rai de lumière qui traversait les fenêtres brisées de l’arrière.

— Vous m’avez fait venir, commandant ? dit sèchement Bolitho.

— Une conférence.

Pelham-Martin jeta un regard circulaire sur le désordre de la cabine.

— Nous sommes dans une mauvaise passe.

Quelque part sous les ponts, un homme hurlait ; le bruit s’arrêta tout à coup, comme si une grande porte s’était refermée sur lui.

— Qu’avez-vous l’intention de faire ? demanda Bolitho.

Le commodore le fixa.

— Lorsque les autres seront arrivés, je ferai mon…

La porte s’ouvrait ; il se retourna :

— Mille excuses, commodore, mais le commandant vous d’mande, lui annonça un premier lieutenant.

— Winstanley est tombé alors que nous nous dégagions, expliqua-t-il à Bolitho qui le regardait perplexe. On l’a fait porter sur le faux-pont.

Il grimaça ; sa voix était grave, presque désespérée.

— J’ai bien peur qu’il ne soit foutu…

Il désigna les autres officiers :

— Avec le lieutenant de garde, ce sont les seuls qui n’aient pas été tués ou blessés.

— J’aimerais voir Winstanley, déclara Bolitho.

Il se rapprocha de la porte et s’arrêta, se rendant compte que Pelham-Martin n’avait pas bougé.

— Vous venez, commodore ?

Celui-ci regardait les cartes et les effleura du bout des doigts.

— Plus tard peut-être.

— Attendez-moi dehors, ordonna Bolitho aux deux officiers.

Une fois la porte refermée, Bolitho dit avec calme :

— Je pense que vous devriez venir, commodore.

Il sentait la colère grandir en lui :

— C’est le moins que vous puissiez faire.

Pelham-Martin eut un mouvement de recul :

— Comment osez-vous me parler sur ce ton !

— Ce sont vos actions mêmes qui m’y autorisent !

Les mots sortaient de sa bouche sans qu’il pût les contrôler. Il ne pouvait se taire plus longtemps.

— C’est à vous que revient l’honneur de commander ces navires et ces hommes ! C’est vous qui en avez la responsabilité. Et pourtant vous n’avez mérité ni l’un ni l’autre !

— Je vous préviens, Bolitho, rétorqua Pelham-Martin en serrant convulsivement les poings, je vous ferai passer en cour martiale ! Je n’aurai pas de repos avant que votre nom ne rejoigne celui de votre frère dans l’ignominie !

Il pâlit en voyant Bolitho faire un pas en avant, et ajouta d’une voix étouffée :

— C’était un piège, je ne m’attendais pas à…

Bolitho pesait les paroles de Pelham-Martin, essayant de retrouver son calme. Il savait bien que le commodore tentait désespérément de se trouver des excuses.

— Il y aura peut-être une cour martiale, commodore, mais ni vous ni moi ne savons qui y sera jugé.

Il vit que la flèche avait atteint sa cible et ajouta lentement :

— De toute façon, cela m’est totalement égal. Mais je ne resterai pas sans rien faire ; je n’autoriserai pas que nos hommes soient humiliés et notre cause déshonorée. Ni par vous, ni par quiconque qui se trouverait plus préoccupé de son avancement que de son devoir !

Sur ces mots, il sortit et traversa rapidement la dunette inondée de soleil. A tout moment, il s’attendait à ce que Pelham-Martin appelât le capitaine des fusiliers et le fît mettre aux arrêts ; et s’il l’avait fait, Bolitho ne savait pas comment il aurait réagi, si grands étaient le mépris et la colère qui l’habitaient à cet instant-là.

Il ne se rappelait pas comment il était parvenu jusqu’au faux-pont ; il gardait seulement de vagues images de matelots s’affairant à quelques réparations urgentes, les visages et les corps noircis par la poudre et la fumée, les regards hébétés de fatigue ou plus encore peut-être.

Le faux-pont était dans l’obscurité, à l’exception de la partie centrale éclairée par des lanternes accrochées au plafond. L’horreur y régnait. Le long des parois, les blessés se tordaient de douleur et sanglotaient, attendant que l’on s’occupât d’eux. Les lanternes dans leur danse éclairaient un instant leurs visages ou leurs corps brisés, avant qu’un nouveau mouvement du navire ne les replongeât dans une obscurité clémente.

Le commandant Winstanley était appuyé contre les membrures, un œil couvert d’épais pansements imprégnés de sang. Il était torse nu, et ses jambes étaient recouvertes de toile. A son côté se trouvait la dague qui ne l’avait pas quitté pendant le combat.

Bolitho mit un genou à terre : la sueur coulait sur la puissante poitrine de Winstanley, sa respiration hachée et difficile en disait davantage qu’un long discours. Il prit sa main : elle était glacée.

— Je suis à vos côtés, Winstanley.

Celui-ci tourna la tête vers lui et une lueur de reconnaissance éclaira bientôt son regard.

Il essaya de bouger les doigts.

— C’est vous que je voulais voir…

Il ferma son œil valide et grimaça de douleur.

— J’étais sur le point de dire à Pelham-Martin… J’étais sur le point…

Il porta son regard sur un homme mince vêtu d’un long tablier couvert de sang. Le chirurgien de l’Indomitable fit un signe de tête et regagna la partie éclairée, où ses assistants enlevaient un corps sans vie de la table de boucher.

Les lèvres de Winstanley esquissèrent un sourire :

— M. Tree est impatient, Bolitho ; il perd son temps avec moi.

Il tendit la tête pour regarder autour de lui.

— Laissez-le s’occuper de ces pauvres gens. On ne peut plus rien pour moi.

Alors ses doigts serrèrent la main de Bolitho avec une force surprenante.

— Ne le laissez pas quitter mon bâtiment avec son déshonneur ! Au nom du Christ, que cela n’arrive pas !

Son œil était fixé sur le visage de Bolitho, attendant une réponse.

Tout près, un jeune aspirant horrifié recula contre le bord du bâtiment alors que l’assistant chirurgien annonçait brusquement :

— Celui-là, il faudra lui amputer le bras.

Le garçon se roula sur le côté, pleurant et se débattant alors que les aides du chirurgien sortaient de l’ombre. Winstanley sursauta :

— Soyez courageux, jeune homme, soyez courageux !

Mais ses paroles s’envolaient. Bolitho se retourna, dégoûté. Il pensait à Pascœ, à ce qui aurait pu arriver s’il avait obéi à l’ordre de Pelham-Martin de cerner ce bâtiment et d’attendre la destruction complète.

— J’ai un plan, Winstanley, dit-il.

Un cri strident derrière lui le contraignit à se boucher les oreilles : on eût dit le hurlement d’une femme torturée.

— Je ferai ce que je peux pour sauver votre bâtiment.

Il essaya de sourire.

— Pour nous tous.

Bolitho sentit quelqu’un lui effleurer l’épaule et, levant les yeux, il vit le chirurgien entouré de ses assistants.

— On dirait que je ne suis pas en état d’être déplacé, Bolitho, dit posément Winstanley.

Le chirurgien, impatient, marmonna :

— Excusez-moi, commandant Bolitho, mais il est temps pour vous de partir.

Bolitho recula tandis qu’on enlevait le brancard. Même le semblant de bandage ne pouvait cacher l’horreur de la jambe et de la cuisse de Winstanley.

— Je ne vais pas attendre, Winstanley, dit-il fermement. Je vous rendrai visite plus tard pour vous expliquer mon plan, n’est-ce pas ?

L’autre fit oui de la tête et laissa sa main tomber à côté de lui. Il savait aussi bien que Bolitho qu’il n’y aurait plus pour eux aucun rendez-vous sur cette terre. Et quelque chose dans son œil unique sembla lancer un message de remerciement, alors que Bolitho disparaissait dans l’ombre. Merci de lui avoir fait espérer un plan que lui-même ne comprenait pas parfaitement. Merci de ne pas assister au misérable spectacle de sa déchéance finale, à la lueur sinistre du bistouri que révélaient déjà les lanternes basses.

Sous la dunette, le soleil brillait de mille feux, mais Bolitho ressentait toujours une nausée qui le laissait glacé, aussi glacé que l’avait été la main de Winstanley.

Quelques matelots le regardèrent passer, à la fois étrangement sur leurs gardes et désarmés. Ils avaient aimé leur commandant, et celui-ci les avait bien traités, alors que Bolitho leur était étranger.

Il retrouva Fitzmaurice et Mulder qui l’attendaient dans la cabine arrière avec Pelham-Martin. Ils avaient tous le regard fixé sur la porte, apparemment depuis un certain temps déjà.

— Je suis prêt, commodore, déclara calmement Bolitho.

Pelham-Martin les dévisagea, un à un :

— Alors je pense que nous parlerons de…

Il leva les yeux alors que Fitzmaurice le coupait brutalement :

— Les autres navires de Lequiller s’éloignent alors que nous restons ici à discuter ! Nous ne pouvons quitter Las Mercedes sans détruire ceux que nous venons de combattre…

Il regarda le commodore sans la moindre trace d’émotion et ajouta :

— … même si nos bâtiments risquent leur perte maintenant que nous avons perdu l’avantage.

Le commodore s’épongea le front, selon son tic :

— Nous avons essayé, messieurs. Personne ne pourra dire que nous n’avons pas fait de notre mieux.

Bolitho desserra sa cravate : cette discussion et la chaleur qui régnait dans la cabine lui tournaient la tête.

— Il y a encore un moyen de surprendre l’ennemi, dit-il.

Il observa attentivement Pelham-Martin qui tentait de dissimuler son désarroi.

— Le temps ne sera pas notre allié, mais un plan, quel qu’il soit, est préférable à l’échec total !

Les autres le dévisageaient, mais il ne détourna pas son regard de celui de Pelham-Martin. Ils étaient comme liés l’un à l’autre, et le moindre signe d’hésitation ou d’incertitude pouvait le perdre.

Il l’entendit déclarer :

— Très bien. Ayez l’obligeance de nous exposer votre plan.

Le commodore se rassit. Ses mains tremblaient et il ne pouvait dissimuler la haine qui l’habitait. Bolitho surprit son regard, mais il ne s’y arrêta point. Il pensait à Winstanley, allongé sur le faux-pont, parmi ses hommes, livré aux tourments des instruments du chirurgien.

 

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